Histoire de Maligny
Il est probable qu’au Haut Moyen Âge, comme d’autres villages du Chablisien et d’ailleurs, par suite de carences ou de luttes intestines des Mérovingiens, Maligny ait été administré directement par l’Eglise, dont l’organisation territoriale très structurée, s’affirme alors comme la seule capable de quadriller la France en gestation, après la chute de l’Empire romain. Même sous les Carolingiens, la loi civile qui crée le lien social, repose sur l’observance de la loi chrétienne, et qui mieux que l’Eglise bien implantée peut assurer son respect ? L’arrivée au pouvoir des Capétiens fait entrer progressivement notre pays dans la féodalité, caractérisée par la prédominance d’une classe de guerriers, et des liens de dépendance d’homme à homme. La naissance plus ou moins formelle des trois ordres : ceux qui se battent, ceux qui prient, ceux qui travaillent, résulte de cette nouvelle organisation.
Les Maligny de la famille du comte de Tonnerre, sont tout à la fois seigneurs du lieu et bienfaiteurs de l’Eglise, à un niveau qui doit être précisé, tant il aura de conséquences. C’est sur une de leurs terres située à Collan, au lieu dit le Désert, que Saint Robert, apparenté à la branche cadette des Maligny, prend en 1074 la direction d’un groupe d’ermites. C’est encore sur une de leurs terres que l’année suivante, les mêmes perdent l’abbaye de Molesmes à 40 km de là. L’infatigable Saint Robert quitte Molesmes en mars 1098, à près de 70 ans, pour fonder Cîteaux, base de l’ordre cistercien, sur une terre de ses cousins de Beaune, Mont-Saint-Jean et Conches. L’ordre connaîtra plus tard, sous l’impulsion de Saint Bernard un prodigieux essor. Localement, l’abbaye de Pontigny, seconde fille de Cîteaux est créée en 1114.
A la même époque, Hugues de Maligny construit sur motte le premier château du village en bordure du Serein, afin de contrôler la vallée, selon le souhait de son suzerain Thibault, comte de Blois et de Champagne ; car très tôt, cette terre bourguignonne entre dans la mouvance champenoise. Le château, remanié une première fois sous Gui II, reçoit alors les transformations propres au XIIIème siècle, sous l’influence de Philippe Auguste et des croisades. Gui II œuvre aussi au développement du vignoble. Après une réelle période de prospérité, la guerre de Cent ans provoque ses premiers ravages.
Fort heureusement, Gilles de Maligny, sage seigneur de 1320 à 1360, affranchit les serfs de sa châtellenie, rompant ainsi avec la variante du système oriental de l’esclavage, importé par les Romains qui perdurera jusqu’en 1789. Malgré la guerre qui nous oppose aux Anglais, le rattachement de la Champagne à la France s’achève en 1366, alors que celui de la Bourgogne s’effectue en partie, à la mort de Charles le Téméraire en 1477.
Parmi les grandes familles malinéennes ayant marqué leur époque, il faut citer celle des de Ferrières qui, de 1482 à 1605, ont par l’engagement de certains dans l’activisme protestant, défrayé la chronique, en particulier Jean et Edme. La vente forcée de Maligny en 1605 à César de Vendôme, fils naturel d’Henri IV, ne constitue qu’une courte étape dans la vie de la châtellenie, élevée en comté, et revendue en 1620 sans restauration des bâtiments endommagés par les guerres de religion.
La famille de la Grange d’Arquien devient propriétaire du comté de 1620 à 1720. Elle ne fait que de rares et brèves apparitions à Maligny. Marie Casimire, fille du cardinal d’Arquien doyen du Sacré Collège, épouse Jean Sobieski en 1665, et devient reine de Pologne en 1674 après l’élection de son mari à la tête de ce pays. Au soir de sa vie, en 1714, elle rentre définitivement en France.
L’abbé de Simiane achète les ¾ du compté de Maligny en 1720 aux héritiers de Marie Casimir, puis le ¼ manquant à la marquise d’Epoisses. Ce grand bâtisseur sait faire respecter ses droits. Il meurt au château en 1742. En 1746 la famille Daguesseau fait l’acquisition du comté, et nomme Isaac Michel Rabé régisseur. Ce dernier s’accrochera à la terre de Maligny, alors que les Daguesseau revendront leurs biens en 1791 à Jacques Julien Devin, président de la Cour des Comptes. La belle-fille de ce dernier, Thérèse Cabarrus, marquera la vie parisienne de la décennie révolutionnaire. Par mariage, et surtout lors du partage d’héritage, ce qui fut le comté de Maligny est morcellé en 1842. La comtesse de Tromelin reçoit les terres de Beines et Basse, le moulin de Poinchy, les fermes de Bocqueuse et de la Fourchaume, ainsi que la moitié des bois de Maligny. Antoinette Thérèse Devin de Belleville hérite du château, des fermes des Roncières et de Bacarat, ainsi que de l’autre moitié des bois. Antoinette épouse en 1821 Armand de Bastard comte d’Estang. Les deux fils qu’elle aura : Jean Denis Léon et Denis Adhémar, mourront hélas trop jeunes et sans descendants directs. C’est la nièce d’Antoinette, Marie Henriette de Bastard, épouse de Louis Jean Marie, vicomte du Peyroux, qui réside au château jusqu’à sa mort en 1922. Ses enfants, Marie Edme Albert compte du Peyroux, et Marie Antoinette revendront leurs biens après la Grande Guerre. L’actuel propriétaire Jean Durup reconstruit, rassemble, valorise patiemment et passionnément cette terre de Bourgogne dont les étages géologiques et le travail des hommes font la réputation. Outre ces Malinéennes et Malinéens, ayons une pensée pour deux autres qui brillèrents dans leur discipline : Maurice Fréchet (1878-1973), mathématicien, à l’origine de l’étude des espaces abstraits, et Jacques Lafarge (1907–1997) docteur en pharmacie, inventeur des pastilles pulmoll.
Charles Meunier